L’étude Avenir énergétique 2050

Que faut-il penser de l’étude Avenir énergétique 2050 publiée par l’ASE/VSE en coopération avec l’EMPA ? Nous avons jeté un regard critique sur l’étude.

L’étude « Avenir énergétique 2050 » de l’Association des entreprises électriques suisses (ASE/VSE) et de l’EMPA, parue le 12 décembre 2022, est la preuve que le secteur de l’électricité est piégé par ses déclarations antérieures selon lesquelles la transition énergétique suisse est réalisable et qu’il cherche des moyens pour soutenir ses affirmations formulées antérieurement. À cette fin, l’hydrogène vert, en particulier, est maintenant mis en jeu.

Les résultats de l’étude montrent que la Stratégie énergétique 2050 suisse reste une stratégie purement basée sur l’importation. Il y est déploré l’absence d’accord sur l’électricité avec l’UE, sans mentionner toutefois que la condition préalable à tout accord est l’ouverture totale du marché de l’électricité ; cela est toujours caché.

On ne peut se défaire de l’impression que l’étude est censée être une contre-étude à l’étude de l’EMPAEPFL, « Combien coûte une Suisse neutre en CO2 », présentée le 17 février 2022. En voici un bref résumé. Cette étude montre que la compensation jour-nuit nécessiterait à elle seule, par habitant, 16 m2 de surface solaire et une batterie de stockage de 9 kWh. Afin de stocker les surplus d’énergie solaire estivale pour l’hiver, quatre centrales de pompage-turbinage supplémentaires de la taille de la Grande Dixence seraient nécessaires. Si, de plus, on voulait électrifier entièrement le système énergétique suisse, on aurait alors besoin de 48 m2 de surface photovoltaïque par habitant, soit trois fois plus qu’il n’y a de surfaces de toits. Et pour stocker les énormes surplus d’électricité estivale pour l’hiver, il faudrait 13 fois la Grand Dixence. Même si seulement la moitié de cette quantité d’énergie était nécessaire, cette idée serait irréalisable, car où sont les vallées pour cela ?

Si l’on veut développer une économie de l’hydrogène, le surplus d’énergie solaire devrait être converti en hydrogène avec les pertes correspondantes. Cela nécessiterait, par habitant, l’équivalent de 116 m2 de cellules photovoltaïques et d’une batterie de stockage de 57 kWh. Mais cet hydrogène, produit en été, devrait être stocké à 200 bars dans des cavernes souterraines. Nous aurions besoin de 57 millions de mètres cubes, soit 25 fois le volume du tunnel de base du Gothard, cela pour stocker tout cet hydrogène.

Les chercheurs de l’EMPA auraient dû vérifier ces chiffres pour leur nouvelle étude « Avenir énergétique 2050 ». Au lieu de cela, ils « misent sur des si… », des espérances, c’est-à-dire avec une incertitude qui, comme un fil rouge, traverse cette nouvelle étude. « Cela demandera beaucoup d’efforts supplémentaires – de notre part à tous », commente le directeur de l’ASE/VSE. De quel genre d’efforts s’agira-t-il, cela il ne le dit pas. Mais, malgré tous ces efforts demandés, il reste que ce sera une stratégie d’importation. Compte tenu de l’évolution des conditions géopolitiques, l’étude ne fournit aucune nouvelle information.

Voici nos commentaires sur les douze résultats les plus importants de l’étude « Avenir énergétique 2050 » et sur la restructuration du système énergétique suisse.

1. Sans une expansion fortement accélérée et une augmentation massive de l’efficacité en général, une transformation et une extension ciblées des réseaux électriques, ainsi qu’un échange d’énergie avec l’Europe, nous n’atteindrons pas les objectifs énergétiques et climatiques

L’augmentation du rythme de mise en service d’installations photovoltaïques et d’éoliennes n’apportera rien, car ni soleil ni vent ne pourront couvrir la lacune de puissance hivernale. Ce problème de la lacune d’électricité hivernale s’amplifiera d’autant plus précocement que davantage d’installations photovoltaïques et éoliennes seront intégrées plus rapidement au réseau, en sachant qu’il y a des périodes sans soleil et sans vent ! On pourra installer autant qu’on le souhaite et plus rapidement, mais 10 x 0 fait toujours zéro. Il faudra donc des capacités de backup, des sources complémentaires (comme celle prévue à Birr) garantissant la puissance durant les périodes de lacune.

2. La consommation d’électricité en Suisse va augmenter

Oui, c’est vrai ! Et c’est précisément pour cette raison que les quatre centrales nucléaires encore en activité ne devront pas être arrêtées successivement, mais au contraire être exploitées, de façon sûre, pendant plus de 60 ans. Les centrales nucléaires de Gösgen et de Leibstadt ont des projets particuliers pour porter leur durée d’exploitation à 80 ans. Aux États-Unis, plusieurs centrales nucléaires ont déjà reçu une prolongation à 80 ans de leur licence d’exploitation.

3. Il y a une forte acceptation pour de nouvelles infrastructures énergétiques et pour une coopération énergétique étroite avec l’Europe

Les auteurs de l’étude ne reconnaissent pas que la stratégie d’importation a échoué. L’ElCom dit également que l’on ne pourra plus compter sur des importations. La dépendance à l’importation en hiver sera de 9 TWh, soit 22% de la demande hivernale. Combler cette lacune est un vœu pieux ! Le problème réside dans le fait que c’est l’hiver dans toute l’Europe en même temps, ce qui entraîne partout une augmentation de la consommation d’électricité. De plus en plus de pays d’Europe misent sur le photovoltaïque, ce qui entraînera une baisse de la production d’électricité en hiver – et, pour autant, l’angle d’inclinaison de l’axe de la Terre ne va pas changer!

4. Un système énergétique transformé sera moins cher que le statu quo en raison d’une efficacité accrue

C’est une lapalissade de répéter que l’énergie électrique est trois fois plus efficace que les combustibles fossiles. Mais si l’on écrit cela, on doit également quantifier les coûts de l’expansion et de la transformation nécessaires du réseau électrique, ainsi que d’autres coûts inévitables. Il s’agit notamment de l’extension du réseau en raison des pics (avec des estimations de 11 milliards de francs), de l’extension de l’infrastructure de stockage, des pertes plus importantes dues au nécessaire stockage, du réglage par réduction du photovoltaïque en été, de l’augmentation des services auxiliaires et des coûts de gestion des subventions. Il ne suffit pas d’écrire que ces coûts n’auraient pas été pris en compte. Cela frise le manque de professionnalisme.

5. La transformation du système énergétique réduira la dépendance de la Suisse vis-à-vis des importations

La dépendance à l’égard des importations d’électricité constitue de toute façon un risque, quel qu’il soit, pour la sécurité de l’approvisionnement en électricité. Alors que l’importation d’uranium, de cellules photovoltaïques, ou d’onduleurs, par exemple, n’est pas urgente, un goulot d’étranglement pour le gaz naturel ou l’hydrogène entraînera immédiatement des problèmes majeurs dans l’approvisionnement électrique. Le combustible nucléaire peut déjà être stocké pour cinq ans d’exploitation et le pétrole dispose de réserves pour trois mois (stockage obligatoire). La dépendance à l’égard des importations ne sera pas totalement évitable. Cependant, cela ne devrait pas avoir de conséquences immédiates pour la population.

6. La Suisse restera importatrice d’électricité

Les importations d’électricité en hiver seront toujours nécessaires – mais seulement si nous n’augmentons pas la production d’électricité en hiver ! Le soleil – y compris via le PV alpin – ne suffira pas, comme le montre clairement l’étude. Des modules photovoltaïques enneigés produisent zéro kilowattheure et cela durant des jours. Alors on aura beau en installer encore et encore, 10 x 0 est et restera zéro. Des scientifiques devraient le savoir. La Suisse ne pourra plus tabler sur des importations d’électricité. Comme nous l’avons déjà mentionné, c’est aussi ce que dit l’ElCom.

7. La neutralité climatique ne sera possible que grâce à une électrification complète

D’accord ! Mais la question est de savoir dans quelle mesure l’électricité destinée à remplacer les combustibles fossiles sera produite de manière climatiquement neutre ? Pour cela des centrales à charbon, à pétrole, ou à gaz ne devront pas être utilisées, ce qui est précisément le cas pour l’électricité importée ! L’un des auteurs de l’étude a (co-)écrit un article à ce sujet et arrive à la conclusion qu’une teneur en CO2 allant jusqu’à 700 gCO2/kWh est parallèlement importée lorsque l’électricité est importée pendant les heures d’hiver nocturnes. En outre, l’ensemble du cycle de vie des moyens de production d’électricité devrait être considéré de manière cohérente, et pas seulement dans le cas de l’énergie nucléaire. La technologie photovoltaïque représente des émissions grises de 50 gCO2eq/kWh alors que la technologie nucléaire n’est la cause que de 11 gCO2eq/kWh, écrit un auteur de l’étude.

8. L’hydroélectricité restera le pilier du système énergétique suisse

C’est vrai, mais ce n’est pas nouveau ! Il est également clair que l’hydroélectricité devra être développée, par exemple, avec l’élévation du barrage du Grimsel et des centrales Trift et Gorner. Mais l’étude manque de propositions concrètes. Cependant, l’énergie électrique nécessaire pour remplacer l’énergie d’origine fossile ne pourra pas provenir de l’hydroélectricité. C’est, au contraire, à une réduction de la production à partir de l’hydroélectricité qu’il faut s’attendre de manière réaliste ; en effet l’augmentation des débits minimaux (volumes d’eau résiduelle à garantir), les nouvelles concessions, les droits de réversion (tous ces mots n’apparaissent même pas dans l’étude), ainsi que les réglementations dans le secteur de l’environnement et d’autres conditions-cadres rendront très improbable que la production hydroélectrique reste même au niveau actuel.

9. Le photovoltaïque alpin et l’éolien apporteront des avantages significatifs pour l’approvisionnement en électricité en hiver

Ces avantages seront les bienvenus. Ce dont nous aurons besoin, cependant, c’est de la sécurité de l’approvisionnement ! Nous n’avons même pas de données de mesures exactes sur le photovoltaïque dans les Alpes. Les données de l’installation photovoltaïque posée sur le mur du barrage du Muttsee ne sont pas encore disponibles. Même les données réelles sur le vent ne sont pas disponibles. Des chiffres concrets sont nécessaires. De plus, les ordres de grandeur concrets manquent. L’étude suppose une production photovoltaïque alpine de 0,792 TWh au cours du semestre d’hiver, alors qu’elle prévoit que 7,41 TWh d’électricité et 8,71 TWh d’hydrogène devraient être importés durant la même période.

10. L’hydrogène pourra devenir un élément essentiel de l’approvisionnement énergétique de la Suisse

L’étude de l’EMPA-EPFL décrivait concrètement les défis de l’économie de l’hydrogène. Cela manque dans la présente étude. On y mentionne seulement que l’ajout de nouvelles centrales nucléaires, telles que les petits réacteurs modulaires (SMR), ne serait pas économique, cela par rapport à des centrales à gaz fonctionnant avec de l’hydrogène vert. C’est là une affirmation absurde. Si de l’hydrogène vert est produit avec de l’électricité renouvelable, cela coûte bien plus de 5 ct/kWh. L’électrolyse, la compression et le stockage du gaz, et ensuite la production d’électricité entraînent des pertes de bien plus de 50%. Cela réfute donc cette allégation. Selon les chiffres de l’OFEN, un SMR produira de l’électricité à un coût spécifique de 5 à 12 ct/kWh (donc pour de nouvelles centrales !).

Le développement concret des SRM n’est pas décrit. Parmi les exemples, citons le BWRX 300 de 300 MW, un réacteur à eau bouillante (REB) avancé, de General Electric-Hitachi, muni de systèmes de sécurité passive sophistiqués, avec une circulation naturelle et un refroidissement passif d’urgence, et qui va maintenant être vendu dans le monde entier après l’achèvement de la dixième étape de son développement.

Il y a aussi la question de savoir pourquoi il faudrait attendre la Génération 4 alors que des réacteurs de la Génération 3+, tels que décrits ci-dessus, ont déjà des systèmes de sûreté passive et un refroidissement d’urgence passif ? Il est temps que la Suisse s’occupe maintenant de ce type de réacteur et d’autres. Le coût du premier BWRX de 300 MW installé sera de 1 milliard de francs. Des modules supplémentaires successifs deviendront de moins en moins chers, car des pièces pourront être livrées et installées préfabriquées. La période de construction devrait être de cinq ans et le kilowattheure coûter 5 centimes. À titre de comparaison, la centrale de réserve du Conseil fédéral, composée de huit turbines à pétrole ou à gaz ou à hydrogène, d’une puissance de 250 MW, qui sera installée à Birr, coûtera 470 millions de francs suisses pour 4 ans, et ces sans le coût du combustible.

Un BWRX 300 est en construction à Darlington, au Canada ; ce réacteur devrait entrer en service dès 2028. Comme l’a dit le conseiller national Christian Wasserfallen dans l’émission Echo der Zeit, les producteurs d’électricité locaux devraient aussi ôter leurs œillères et suivre le développement des nouveaux réacteurs nucléaires.

11. La sécurité de l’approvisionnement nécessitera des centrales électriques de backup et des installations de stockage

C’est juste ! Les systèmes photovoltaïques et éoliens, dépendant des conditions météorologiques, ne garantiront pas la sécurité de l’approvisionnement en hiver. Cela nécessitera des installations de stockage et des centrales de backup. Mais de quel type seront ces centrales électriques de secours, à quel point serontelles respectueuses du climat et où les installations de stockage devront-elles être construites et gardées en réserve ? Tout cela n’est pas indiqué dans l’étude.

Une question à poser est également de savoir comment on arrive au coût d’un seul milliard de francs suisses, ce que tout cela serait censé coûter par an ? En d’autres termes, ce ne sont pas des déclarations scientifiquement fondées. Au contraire, ces assertions prouvent que les centrales nucléaires ne pourront pas être remplacées par de l’électricité issue de façon aléatoire du soleil et du vent, comme certains professeurs de l’ETH l’affirment à plusieurs reprises. La sécurité de l’approvisionnement ne pourra pas être assurée seulement par des moyens de production qui sont dépendantes des conditions météorologiques.

12. La transformation du système énergétique nécessitera une transformation et une extension du réseau électrique

Oui, c’est vrai ! Si l’on dit vouloir encore étudier l’extension et la conversion du réseau électrique seulement dès 2023, alors on doit se demander pourquoi cette étude est publiée maintenant, en 2022, et cela de manière incomplète. Il est aussi clair que les problèmes qui surviennent lorsqu’une grande partie de l’énergie électrique (de très nombreuses installations photovoltaïques individuelles) est injectée dans le réseau au niveau le plus bas du réseau, sont actuellement imprévisibles.

Conclusion : nous avons besoin de nouvelles centrales électriques

L’étude n’apporte pas de réponses aux questions urgentes. La Suisse est confrontée à d’énormes défis pour pouvoir sécuriser son approvisionnement en électricité non seulement cet hiver, mais aussi pendant les prochains semestres hivernaux. Il y faut plus que des espérances. De nouvelles centrales électriques sont nécessaires. Dans un premier temps, il s’agira de centrales électriques à gaz, bien que la Suisse ne dispose encore d’aucune installation de stockage de gaz. Cela signifie que les turbines à pétrole de Birr pourront être remplacées. Cependant, des centrales à gaz contredisent l’objectif climatique. Si l’étude de l’OFEV sur la nécessité des centrales à gaz n’avait pas été retirée d’Internet en 2017, de nombreux électeurs se seraient probablement demandé, avant le vote sur la Stratégie énergétique 2050, si de nouvelles centrales nucléaires n’auraient pas été plus respectueuses du climat que des centrales à gaz. La deuxième étape logique est la construction de nouvelles centrales nucléaires. La planification doit être entreprise immédiatement. Elles seules garantiront la sécurité de l’approvisionnement et la protection du climat.